Interview de Marc Hansen dans Paperjam

"Agir en facilitateur de la transformation numérique"

Interview: Paperjam 

Paperjam: Voilà un an qu'un nouveau ministère de la Digitalisation a été mis en place. Pouvez-vous nous rappeler les éléments qui ont présidé à la création de ce nouveau portefeuille?

Marc Hansen: L'idée était de placer les enjeux liés au digital au niveau de décision politique le plus élevé, et ce en vue d'accélérer la transition vers une société plus numérique. Le sujet est donc désormais thématisé au niveau du conseil de gouvernement. Le ministère est entre les mains de deux ministres, Xavier Bettel, qui est aussi Premier ministre, et moi-même. Au-delà de mes responsabilités en tant que ministre délégué à la Digitalisation, je suis aussi ministre de la Fonction publique. Cela n'est pas anodin. Le Centre des technologies de l'information de l'État (CTIE), en charge de la gestion de Guichet.lu et du chantier eGovernment, est aussi sous la tutelle du ministère de la Digitalisation.

Paperjam: La digitalisation est un sujet qui occupe de nombreux ministères: Économie, Travail, Finances, Éducation et Enseignement supérieur. Dans ce contexte, comment agit le ministère de la Digitalisation?

Marc Hansen: Notre rôle n'est pas de nous immiscer dans les dossiers de chaque ministre ä la table du Conseil de gouvernement. Nous agissons davantage en tant que facilitateur, avec la volonté d'adresser des enjeux transversaux liés à la digitalisation. Dans ce contexte, le chantier eGovernment est un catalyseur. Avec les outils que le CTIE peut mettre en œuvre au niveau de chaque administration, en formant aussi les fonctionnaires et les conseillers de l'État à travers la Digital Academy que nous sommes en train de développer au niveau de l'lnap, qui dépend de la fonction publique, la volonté est de contribuer efficacement à la transformation digitale de l'ensemble des services publics, pour répondre plus efficacement aux attentes des citoyens et des entreprises.

Paperjam: Comment les citoyens et les entreprises appréhendent-ils le numérique dans leurs relations avec l'État?

Marc Hansen: Une de mes grandes préoccupations a trait à l'inclusion numérique. S'il est évident qu'il faut avancer en profitant des possibilités offertes par la technologie, il est important de ne laisser personne au bord du chemin. Au Luxembourg, l'ensemble de la population semble bien connecté. Nous n'avons pas les mêmes problèmes que les pays voisins, où d'importantes parties de la population peinent à accéder aux outils numériques. Cependant, une récente étude que nous avons réalisée avec TNS Ilres auprès des résidents luxembourgeois, pour évaluer comment ils appréhendaient le numérique, révèle qu'il existe encore certaines réticences ou préoccupations.

Paperjam: Comment s'expriment-elles?

Marc Hansen: Elles touchent souvent au fait que le digital est un vecteur pouvant mener à une détérioration du lien social. Le numérique facilite le travail quotidien, mais pourrait aussi, selon les sondés, avoir un impact sur l'emploi au sens large.

Paperjam: Un an après sa mise en place, quels sont les chantiers lancés par ce nouveau ministère de la Digitalisation?

Marc Hansen: Mettre en place un nouveau ministère constitue déjà un chantier important en soi. Durant les premiers mois, nous sommes d'abord allés à la rencontre des divers acteurs de la société et de ceux qui contribuent à la digitalisation, pour prendre le pouls, bien cerner les attentes et les enjeux. L'étude menée auprès des résidents s'inscrit dans cette logique. On a aussi travaillé à une meilleure coordination entre l'équipe du ministère de la Digitalisation et celle du Service des médias et des communications, qui porte aussi beaucoup de projets en lien avec la transformation digitale de l'économie et de la société. Les échanges entre les deux sont permanents. Il a fallu mettre en place une équipe et des modes de fonctionnement pour pouvoir travailler de la manière la plus efficace qui soit. Aujourd'hui, nous sommes pleinement opérationnels et bien engagés dans des projets de transformation.

Paperjam: Où se situent les priorités?

Marc Hansen: Nous travaillons sur un plan d'action visant l'inclusion numérique. Nous avançons aussi dans le développement des démarches administratives pouvant être réalisées au départ du portail MyGuichet.lu. La volonté est de permettre aux administrés, qu'il s'agisse de personnes physiques ou de personnes morales, d'effectuer leurs diverses démarches en ligne. Dans cette optique, la volonté est aussi de permettre l'accès à nos outils au départ de terminaux mobiles et de proposer de nouvelles applications. L'autre enjeu est de faciliter le traitement des demandes et des démarches. La digitalisation des processus, au-delà des outils mis à disposition des citoyens, est un chantier conséquent, peu visible de l'extérieur. Il implique de mobiliser les équipes du CTIE et les agents au niveau de chaque administration pour mettre la technologie au service d'importants gains d'efficacité.

Paperjam: Sur quel genre de démarches une telle transformation peut-elle s'opérer?

Marc Hansen: Si l'on prend une démarche comme la déclaration fiscale, l'ensemble du processus peut considérablement être amélioré par le développement d'une interface plus facile d'utilisation, plus fluide, facilitant le renseignement de ses données fiscales par le résident ou encore par l'entreprise. L'enjeu est de ne plus avoir à traiter manuellement chaque déclaration, en mettant en place des processus de traitement facilités, permettant d'être plus efficient dans le contrôle. Pour cela, il faut une meilleure gestion de la donnée, mais aussi une révision des procédures et processus actuels.

Paperjam: Comment le secteur public peut-il mieux soutenir la transformation numérique des acteurs privés?

Marc Hansen: Il le peut dans beaucoup de domaines. En leur permettant d'interagir avec l'État par des canaux numériques, de manière plus efficace, nous encourageons chacun à se transformer. Prenons l'exemple de la facturation électronique, l'une des premières lois qu'a fait adopter ce ministère. Grâce à elle, on peut par exemple accélérer les processus de facturation et de paiement. Nous sommes prêts pour la mettre en œuvre. On aurait d'ailleurs pu la rendre obligatoire tout de suite. Cependant, en discutant avec les associations représentatives des entreprises, il s'est avéré qu'il était aussi nécessaire d'accompagner les acteurs privés dans cette voie. Une transformation doit aussi s'opérer du côté des utilisateurs, avec des adaptations nécessaires des interfaces et des processus leur permettant de monter dans le train de la digitalisation. On comprend que, dans une démarche de digitalisation, il faut que l'ensemble des parties puissent avancer de manière coordonnée.

Paperjam: Comment garantir une meilleure collaboration entre les ministères et avec le secteur privé dans cette volonté de digitaliser la société?

Marc Hansen: Beaucoup de discussions ont déjà lieu entre les ministres, beaucoup de choses se mettent en place. Le gouvernement n'a pas attendu la création d'un ministère de la Digitalisation pour avancer concrètement. Aujourd'hui, on constate une volonté d'accélérer la transformation au niveau de chaque ministère et dans les administrations respectives. Plus que d'engager une dynamique, l'enjeu est de gérer les priorités. L'amélioration de la coordination passe notamment par la mise en œuvre d'un comité interministériel autour de ces questions. Au-delà, nous sommes en train de préparer l'installation d'un Haut Comité pour la transformation numérique, qui rassemblera un ensemble d'acteurs représentatifs de la société luxembourgeoise. C'est une plateforme qui favorisera les échanges entre le gouvernement et la société civile pour permettre une transition vers une société plus digitale, respectueuse des intérêts de tous.

Paperjam: Le projet de blockchain pour le secteur public a constitué une des annonces importantes de ces derniers mois. Où en est ce projet?

Marc Hansen: Nous travaillons dessus actuellement. On devrait être prêt, d'ici quelques semaines, pour proposer les premières applications s'appuyant sur cette technologie. Elle doit notamment permettre à chaque membre de l'administration de trouver plus efficacement l'information utile, pour peu qu'il en ait le droit. La blockchain permet aux diverses parties impliquées dans un processus, comme la demande d'un permis de construire, par exemple, de trouver le même niveau d'information au même moment. La technologie est un registre d'information partagé et sécurisé, c'est un moyen qui permet un partage optimisé de l'information disponible pour un traitement plus efficace des demandes.

Paperjam: La mise en œuvre d'une solution blockchain par le secteur public est assez inédite. Qu'est-ce qui vous a poussé dans cette voie?

Marc Hansen: Cette démarche révèle avant tout notre volonté d'avancer en nous appuyant sur l'ensemble des possibilités technologiques à notre portée. La blockchain nous est apparue comme une solution intéressante pour mieux gérer et partager l'information entre administrations, et même vis-à-vis du citoyen, en veillant au respect des exigences réglementaires en matière de protection et de traitement des données. Cela dit, la technologie n'est qu'un moyen. Si la blockchain s'avère ne pas être la solution idéale, nous pouvons en envisager d'autres plus opportunes pour soutenir nos ambitions.

Paperjam: Quand on parle de digitalisation de l'administration publique, l'Estonie est souvent citée en exemple. Est-ce un modèle que l'État luxembourgeois doit suivre?

Marc Hansen: L'Estonie est très avancée dans ce domaine. Et c'est certainement un pays dont nous pouvons nous inspirer. Leur avantage réside dans le fait qu'ils ont pu tout bâtir de zéro, sans avoir un historique lourd à gérer. Au Luxembourg, rien qu'au niveau du cadastre du territoire, par exemple, il y a une multitude d'informations spécifiques à intégrer, des documents et des articles de loi vieux de plus d'un siècle dont il faut tenir compte et qui rendent la transformation numérique plus complexe. S.L.

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